L’histoire du Christianisme au Japon est aussi dense que passionnante. Tout comme Jésus-Christ l’avait fait au mont Golgotha avant eux, d’innombrables chrétiens japonais durent, eux aussi, porter leur croix deux siècles durant.
Sommaire
L’arrivée de Jésus dans le cœur des japonais
C’est en 1549 que le Christianisme apparaît sur l’archipel avec l’arrivée des premiers navires marchands portugais sur les côtes nippones de Kyushu avec à leurs bords un certain François-Xavier alors frère jésuite.
S’en suit une période d’évangélisation dans tout le pays sous l’impulsion des jésuites avec notamment de nombreuses conversions de gouverneurs de province au christianisme, appelés kirishitan daimyo (« kirishitan » provient du mot portugais « christão » dérivé de l’anglais « christian »).
Ces derniers offrent leur protection aux chrétiens contre différents avantages procurés par les échanges avec les marchands occidentaux (des armes de guerre tels que des fusils notamment).
En 1566, les frères Almeida et Lorenzo sont invités sur l’île de Fukue afin de soigner le daimyo Sumisada Uku. Sans relâche, les jésuites s’attellent et répandent la parole de Jésus sur l’archipel Goto tant et si bien que les conversions se multiplient.
Quatre ans plus tard, on y recense 2000 chrétiens.
Gravure de la mission d’Almeida à Goto (église de Dozaki – île de Fukue)
C’est en 1578 que nait Jean Soan sur l’île de Fukue. Il est aussi connu sous le nom de Saint Jean de Goto.
Un an plus tard, le daimyo de Goto, Sumisada Uku, meurt et se voit remplacé par Sumiharu Uku qui décide de lancer à Goto une grande vague de persécution contre les chrétiens.
Pratiquants et réfugiés à Nagasaki depuis le début des persécutions sur Goto, les parents de Jean Soan élèvent leur fils dans la plus pure tradition chrétienne.
Le début des persécutions menées par le clan Tokugawa
En 1587, un édit est promulgué par le daimyo Toyotomi Hideyoshi (deuxième des trois unificateurs du Japon) qui décide d’expulser les missionnaires jésuites du pays pour des raisons de pouvoir notamment.
Il leur reprend aussi par la même occasion le port de Nagasaki, alors très florissant.
Novice au sein de la compagnie de Jésus, Jean Soan est arrêté à Osaka avec d’autres frères en 1596. La sentence est sans appel puisqu’en 1597, il est condamné à la crucifixion au même titre que d’autres chrétiens, ceci dans le but de décourager les conversions au christianisme.
C’est sur la colline Nishizaka àe Nagasaki, appelée aujourd’hui colline des martyrs, que Saint-Jean de Goto et les 25 autres personnes sont crucifiées.
Statue de Saint Jean de Goto sur la croix (église de Dozaki – île de Fukue)
L’interdiction du Christianisme sur tout l’archipel nippon
Après cette date, les frères jésuites n’ont d’autre choix que de visiter les villages en secret afin d’y célébrer les offices mais surtout poursuivre leur missions d’évangélisation.
Si Ieyasu Tokugawa (dernier des trois unificateurs du Japon) fait preuve d’indulgence au début de son règne, il change drastiquement d’attitude peu après : en 1614, il décide purement et simplement de bannir le christianisme au Japon en promulguant un édit dont les termes étaient les suivants :
« La bande de kirishitan est venue au Japon … voulant disséminer une loi malfaisante et renverser la vraie doctrine, afin de modifier le gouvernement de ce pays et d’obtenir la possession des terres. C’est le germe d’un énorme désastre et il doit être réprimé. »
À ce stade, la plupart des missionnaires quittent le pays mais une quarantaine d’entre eux décident de rester afin de poursuivre leur mission d’évangélisation dans l’ombre.
Les chrétiens sont donc contraints à pratiquer leur foi dans le plus grand des secrets. On les appelle alors les senpuku kirishitan.
Avec l’arrivée au pouvoir de Hidetada Tokugawa et Iemitsu Tokugawa, les vagues de persécutions s’intensifient, surtout dans la région de Nagasaki, berceau du christianisme.
Les senpuku kirishitan (昭和時代の潘伏キリシタン) sont les chrétiens qui pratiquèrent leur foi durant la période de persécution sous le régime Tokugawa (1601-1867).
Il ne faut pas les confondre avec les kakure kirishitan (隠れキリシタン) qui sont les chrétiens qui ont refusé de réintégrer l’Eglise catholique lors de la réouverture du pays à la fin du XIXème siècle.
Des exécutions aux tortures extrêmes
L’arrivée au pouvoir de Iemitsu Tokugawa en 1623 signe définitivement l’intensification des vagues de persécution.
C’est la période noire du christianisme au Japon.
Les chrétiens débusqués sont exécutés sauvagement :
- Brûlés sur le bûcher ;
- Crucifiés sur la croix ;
- Jetés dans les « enfers d’Unzen ».
Si au départ, les autorités organisent ces exécutions sur la place publique, elles se rendent compte que ces méthodes les desservent, faisant des condamnés à mort de véritables martyrs aux yeux de la population.
On décide alors très vite de procéder autrement et on instaure la torture dans le but de faire apostasier les martyrs.
Une des méthodes les plus abjecte est celle du tsurushi : pendue la tête à l’envers au dessus d’une fosse, la personne est entièrement ligotée mais dispose cependant d’une main de libre pour se manifester dans le cas où elle renoncerait à la foi chrétienne.
Le fumi-e : piétiner et renoncer
En 1626, le daimyo Moritoshi Goto décide de procéder aux cérémonies de fumi-e que l’on pourrait traduire par « marcher sur l’image » (« fumi » pour marcher ; « e » pour image) : les personnes soupçonnées d’avoir embrassées la foi catholique doivent piétiner une plaque de métal ou de bois, sur laquelle est représentée une figure chrétienne (Jésus-Christ, Vierge Marie). En cas d’hésitation ou de refus, la personne est torturée puis généralement exécutée.
Sanctuaire où était pratiqué le fumi-e (île de Hisaka)
Shimabara : une rébellion inévitable
Dans la presqu’île de Shimabara, située non loin de Nagasaki, voilà déjà des années que les chrétiens sont pourchassés. La population paysanne est aussi écrasée par des impôts toujours plus lourds mis en place pour la construction du château de Shimabara.
En 1637, les récoltes sont bien maigres depuis maintenant trois ans et la famine fait rage. Les fermiers ne peuvent plus s’acquitter de leur taxes sur le riz. Affamés, persécutés, la révolte gronde depuis bien trop longtemps.
C’est ainsi que cette année là, les paysans (chrétiens ou non) associés à une poignée de ronin décident de se rebeller et de prendre possession du château de Hara non loin de Nagasaki afin d’affaiblir le shogunat Tokugawa.
La rébellion dure plusieurs mois et si les troupes repoussent à quelques reprises les assauts des soldats du shogunat, elles sont décimées en l’espace de trois jours : le massacre est sans précédent et le château de Hara complètement rasé.
Suspectant les Européens d’être derrière cette rébellion, les marchands portugais deviennent persona non grata sur l’archipel nippon.
1638 marque donc le début de la fermeture du pays à tout échange commercial avec les portugais.
Mais le christianisme au Japon est toujours bien là.
Je vous salue Marie
Après qu’on martyrise le dernier missionnaire jésuite en 1644, les chrétiens japonais doivent trouver une manière de continuer à pratiquer et transmettre leur foi par eux-mêmes, toujours dans le secret le plus total.
C’est sur l’île de Kyushu, là où tout a commencé un siècle auparavant que des communautés clandestines s’organisent afin de perpétrer les rites de leurs aïeuls en élaborant un système de pratique religieuse bien particulier en détournant certains objets de leur contexte pour en faire des objets de dévotion (cf. plus bas).
Les chrétiens au double visage
À partir de 1660, chaque personne doit s’inscrire dans un temple bouddhique afin d’obtenir un passeport prouvant son appartenance.
Si officiellement on procède aux cérémonies bouddhistes dans les temples lors de chaque décès, on pratique les saints sacrements chrétiens de façon officieuse par la suite, loin des regards des troupes du shogunat Tokugawa.
Les cérémonies de fumi-e sont toujours monnaie courante et c’est ainsi que de nombreuses communautés chrétiennes se désintégrèrent au fil des ans et seule une poignée de fidèles continuèrent à louer le Seigneur dans la région de Nagasaki sous des formes diverses et variées.
Les chrétiens cachés de Goto
C’est en 1797 que les premiers fermiers d’Omura débarquent sur les côtes de Mukata à Goto. En effet, du fait du développement démographique à Sotome (côte Ouest de Nagasaki), de nombreux habitants décident de prendre le large afin de s’installer plus à l’Ouest vers les petites îles sauvages de Goto.
Parmi cette population de migrants, on estime à 3000 le nombre de chrétiens cachés. Ces immigrés portent le nom de « Itsuki ».
Différentes îles servent ainsi de terre d’accueil parmi lesquelles :
- des pâturages abandonnés dans l’île de Kuroshima ;
- des terres jamais exploitées sur l’île de Hisaka ;
- une terre sacrée par les shintoïstes à Nozaki ;
- l’île de Kashiragashima.
Les senpuku kirishitan se mêlent ainsi aux communautés existantes sur ces différentes îles mais souffrent de pauvreté et de discrimination. Ils continuent cependant à pratiquer leur foi lors de cérémonies qui n’ont plus grand-chose à voir avec celles pratiqués à Rome.
Christianisme au Japon : des objets sont détournés pour tromper les persécuteurs
Dans ces territoires reculés du Japon, les objets liturgiques sont bien loin de ceux que l’on peut trouver alors dans chaque église en Occident.
Ici, certaines formes à l’intérieur de coquilles d’ormeau représentent la figure de la vierge Marie, les statues de Kannon sont utilisées pour idolâtrer la mère de Jésus.
90% des statues en porcelaine représentant Maria Kannon provenaient de Chine. On se servait de cette statue bouddhiste car elle était toute blanche mais également car elle représentait relativement bien la figure de Marie.
Une statue en bois de Zao Gongen sert de représentation de Saint Ignace de Loyola (père fondateur de la compagnie de Jésus), des miroirs japonais servent également d’objets de culte, …
Christianisme au Japon : un enseignement transmis de génération en génération
Les enseignements des jésuites (chants et prières) se transmettent de génération en génération de façon orale. Les chrétiens cachés décident alors de recréer un livre de la Genèse (l’écriture est compressée, bien loin des kana actuels).
Néanmoins, le savoir essentiel est préservé avec notamment l’oraison dominicale ou bien encore la salutation évangélique.
Les messes sont assurées par des chefs de communauté appelés « chogata » et elles se font dans des endroits tenus secrets en pleine nature : les petites grottes abritent des autels sur lesquels trônent les objets sacrés.
Livre de la Genèse recréé par les Chrétiens cachés (île de Fukue – précieusement conservé par un local)
Les petits plats dans les grands
Il faut savoir que les immigrés de Sotome ont également apportées avec eux leur nourriture et leurs recettes. Durant les grandes occasions, les chrétiens cachés cuisinent ainsi deux mets particuliers :
- les fukure mochi, sorte de bun avec une garniture de pâte de haricots azuki et
- les tsukiage, sorte de galettes réalisées avec des patates douces (appelées tsuku) qui ont un goût de churros.
Je les ai goûté et c’est vraiment délicieux. Si vous souhaitez accéder à ce genre d’expériences uniques, je vous invite à contacter Wondertrunk.
Tsukiage (gauche) et Fukure mochi (droite) (île de Fukue – servi chez un local)
Voilà donc comment les chrétiens cachés de Goto poursuivent leurs traditions durant près de deux siècles.
Petite grotte où on cachait les objets liturgiques (île de Fukue)
De nombreux objets et reliques se trouve dans l’église de Dozaki, sur l’île de Fukue.
Transformée en musée, c’est l’endroit idéal pour parfaire ses connaissances sur l’histoire des chrétiens cachés.
Dozaki church (Nord-Est de l’île de Fukue)
40 minutes en voiture depuis le centre-ville
Ouverte de 9h00 à 17h00
300 yens (adulte), 100 yens (enfants)
Le retour des croix sur le toit des églises
En 1854, le Japon s’ouvre de nouveau au commerce extérieur. Les missionnaires catholiques font ainsi leur retour à Nagasaki et construisent la cathédrale d’Oura.
Coup de théâtre en 1865 lorsqu’un petit groupe de chrétiens cachés d’Urakami approche discrètement l’évêque Bernard Petitjean. Il découvre alors stupéfait que Jésus n’a jamais quitté le cœur d’une poignée de japonais durant près de deux siècles.
En 1868, les croyants de l’île de Hisaka et de Okura sont persécutés et emprisonnés et un très grand nombre de ces martyrs succombent (cf. cadre plus bas).
Monuments des martyrs de Hisaka (église Royanosako – île de Hisaka)
Ce n’est qu’en 1873 que l’interdiction du Christianisme au Japon est officiellement levée avec le début de l’ère Meiji suite à des protestations vigoureuses des pays occidentaux. Le prêtre Pierre-Théodore Fraineau arrive à Nagasaki la même année pour administrer les sacrements aux malades et aux chrétiens d’Urakami qui ne peuvent se rendre à Nagasaki.
Les chrétiens cachés se divisent alors et adoptent différentes positions :
- Certains poursuivent leurs pratiques ;
- Certains rejoignent l’Eglise catholique et les rites associés avec le retour des missionnaires ;
- Certains se convertissent au bouddhisme ou au shintoïsme.
La tolérance envers les missionnaires est encore très précaire et ces derniers ne peuvent officier que dans les ports ouverts et doivent ruser pour se déplacer en toute discrétion. Le père Fraineau se déguise alors en laïque le jour puis en paysan japonais la nuit et visite les malades au pas de charge.
L’année 1877 sonne comme un renouveau sur l’archipel des Goto avec l’arrivée des pères Fraineau puis Marmand.
À partir de ce moment là, les pères mettent une énergie considérable pour redonner de la vigueur aux communautés de chrétiens cachés, à évangéliser puis à bâtir des églises sur tout le territoire. La première d’entre elle est l’église de Dozaki en 1880. C’est alors que le père Fraineau quitte Goto, remplacé par le père Marmand puis par le père Pélu en 1888.
Eglise Dozaki (île de Fukue)
De nombreuses petites chapelles sortent de terre les années suivantes sur les îles de l’archipel de Goto.
En 1868, 200 personnes ont été torturées à Goto après qu’elles aient avoué être chrétiens.
Placées dans un espace de 20 mètres carrés, les conditions de vie étaient atroces, tout simplement inhumaines.
Imaginez un peu, 17 personnes par tatami, impossible de bouger. Ce supplice dura durant 8 mois et 42 personnes succombèrent du fait de famine ou de maladie.
Des stèles ont été érigé à l’endroit même où ces chrétiens perdirent la vie. Sur l’une des pierres, on peut y lire les derniers mots d’un martyr juste avant qu’elle ne meurt : « de l’eau ! de l’eau ! ».
Si une première église fut bâtie en 1969, un second bâtiment fut construit en 1984 à l’endroit exact de la prison. Le sol est recouvert de tatami de diverses couleurs et permet ainsi d’appréhender la superficie de la zone où les martyrs de Hisaka tentèrent de survivre durant de longs mois.